Viticulture et Environnement : Défis d’Aujourd’hui et Mutations de Demain

30 mai 2025

Les territoires du vin face à des choix cruciaux

La vigne façonne des paysages, inspire des récits et porte en elle les marques du temps. Mais aujourd’hui, sous la surface dorée des coteaux, un autre combat se joue : celui de la durabilité. Les enjeux environnementaux en viticulture ne relèvent plus de l’anticipation, mais de l’urgence. Changement climatique, préservation de la biodiversité, gestion raisonnée des intrants ou encore pression sur les ressources en eau : la filière est à la croisée des chemins. Mais de quelles menaces parle-t-on concrètement ? Et comment les professionnels y font-ils face ?

Changement climatique : un bouleversement palpable dans les vignes

La vigne a toujours dialogué avec le climat, mais ce dialogue devient, ces derniers temps, un véritable bras de fer. L’anticipation n’est plus un luxe, elle est dictée par les faits. En moins de 30 ans, la date des vendanges en Bourgogne, par exemple, s’est avancée de deux à trois semaines (source : étude CNRS, 2020). En 2022, c’est à la mi-août que les sécateurs ont brillé sous le soleil du Beaujolais. L’été caniculaire de 2003, s’il a marqué les mémoires, a ouvert la voie à une succession d’années chaudes.

  • Accélération du cycle végétatif : Maturité plus précoce = récoltes avancées, augmentation du degré alcoolique, déséquilibre acide/sucre.
  • Stress hydrique et maladies : Les épisodes de sécheresse ne sont plus rares, le mildiou migre vers le nord, et la flavescence dorée s’installe dans des régions auparavant épargnées.
  • Déplacement des zones de production : Des régions comme le Sussex en Angleterre voient émerger des vignobles, tandis que l’Espagne ou l’Italie déplacent des parcelles en altitude.

Face à ce constat, les viticulteurs adaptent leurs pratiques : expérimentation de cépages plus résistants à la chaleur, adaptation du travail du sol pour limiter l’évaporation, ou encore reconfiguration du pilotage de la canopée.

Des intrants sous la loupe : pesticides, herbicides et leur alternative

L’image de la vigne lambinant sous le soleil ne rend pas compte de l’intensité pharmaceutique qui s’exerce parfois sur elle. Selon le ministère de l’Agriculture, la viticulture représente seulement 3% des surfaces agricoles françaises mais consomme à elle seule près de 20% du volume total de pesticides utilisés dans le pays (source : Ecophyto, 2022). Un chiffre qui fait tâche sur l’étiquette.

  • Impact sur la santé et l’environnement : Pollution des sols, des cours d’eau, disparition des insectes pollinisateurs, effets sur la santé des riverains et des viticulteurs eux-mêmes (source : INSERM, 2021).
  • Remise en question des pratiques : Apparition de labels bio, HVE (Haute Valeur Environnementale), Terra Vitis, et conversion en biodynamie.
  • Des initiatives concrètes : La Champagne, par exemple, vise un arrêt total des herbicides d’ici 2025. Bordeaux annonce que 75% de ses surfaces étaient engagées en initiatives « durables » en 2022 (source : CIVB).

La pression des consommateurs n’est plus un épiphénomène. Selon une étude IFOP de 2023, 6 Français sur 10 déclarent privilégier des vins issus de démarches environnementales – une mutation profonde de la demande.

Biodiversité : une vigne peut-elle vivre seule ?

Autrefois, le vignoble était une mosaïque vivante : arbres fruitiers, haies et prairies jalonnaient les rangs de ceps. La spécialisation à outrance et la mécanisation ont transformé ces paysages en « déserts verts », où la biodiversité, pourtant essentielle à l’équilibre, a décliné.

  • Flux de vie disparus : Entre 1989 et 2017, les populations d’oiseaux ont chuté de 30% en moyenne dans les vignobles français (source : CNRS/ Muséum national d’Histoire naturelle).
  • Rôles des haies et bandes enherbées : Elles accueillent auxiliaires, pollinisateurs et prédateurs naturels de ravageurs.
  • Restauration en marche : À Châteauneuf-du-Pape, près de 8 kilomètres de haies ont été replantés depuis 2016, gage d’un retour progressif de la biodiversité locale.

Plus innovant encore, des domaines expérimentent la réintroduction des moutons ou le compagnonnage végétal (semis de légumineuses entre les rangs pour fixer l’azote et améliorer la structure du sol).

Eau : une ressource de plus en plus disputée

Le climat ne se réchauffe pas seulement : il s’assèche. Depuis une trentaine d’années, le nombre de jours de forte chaleur a doublé dans des régions comme la Vallée du Rhône. L’accès à une ressource en eau de qualité devient un sujet explosif, surtout en cas de sécheresse à répétition.

  • Irrigation, solution taboue : Interdite dans de nombreuses AOC (appellation d’origine contrôlée) en France, elle est pourtant utilisée dans des zones espagnoles ou italiennes pour sauver les récoltes face aux sécheresses extrêmes.
  • Tensions entre usages : L’eau viticole entre en concurrence avec l’alimentation humaine, l’industrie et la préservation des écosystèmes, comme on l’a vu lors de l’été 2022 dans le Languedoc (source : France Bleu).

L’innovation permet d’apporter des solutions : cuves de collecte d’eaux de pluie, goutte-à-goutte de précision, paillage naturel ou enherbement pour limiter l’évapotranspiration. Mais la ressource reste précieuse… et parfois inégalement répartie.

Le sol, ce vivant silencieux

On oublie trop souvent ce qui se passe sous nos pieds. Les sols de vigne, longtemps travaillés à nu, ont vu leur structure s’appauvrir et leur biodiversité décliner. Or, un sol vivant protège contre l’érosion, stocke le carbone, nourrit la plante – il est la clé des écosystèmes viticoles.

  • Erosion accélérée : En Champagne, certains coteaux perdent près de 5 tonnes de terre à l’hectare et par an (source : INRAE).
  • Restauration : Semis d’engrais verts, tables de rotation, compostage. En Bourgogne, la rotation entre vigne et céréale, bien qu’anecdotique, refait surface.
  • Stockage du carbone : Un hectare de vigne, bien conduit en agroécologie, peut stocker jusqu’à 3 tonnes de CO₂ par an (source : ICV).

La question n’est plus seulement celle de limiter les dégâts, mais de réinventer un sol qui soit aussi une solution climatique.

Capter et transmettre : l’essor des labels et certifications

Le monde viticole a vu fleurir les labels – le Bio, la Biodynamie via Demeter, Terra Vitis, Haute Valeur Environnementale (HVE), ou encore « Fair’n Green ». Leur point commun ? Répondre à la quête de transparence des consommateurs, s’aligner avec des exigences sociétales et environnementales toujours plus pointues.

  • En 2023, plus de 21% du vignoble français est certifié Bio (source : Agence Bio). C’est une progression de près de 50% en 5 ans.
  • Biodynamie, en croissance rapide, concerne près de 10 000 hectares en France.
  • Transition écologique : Au-delà de l’étiquette, de nombreuses propriétés optent pour des démarches internes sans label, motivées par la pression des marchés d’export, mais aussi par une génération de vignerons soucieux de la transmission.

Enjeux sociaux et territoriaux : l’environnement, affaire collective

L’avenir durable du vin ne dépend pas seulement de la nature, mais aussi des hommes et des femmes qui lui sont attachés. Les enjeux environnementaux débordent sur des questions sociales : attractivité des métiers, renouvellement des générations, maintien de la vie rurale. Les vignerons échangent aujourd’hui sur le partage de l’eau, les transmissions de savoirs agroécologiques, la création de dynamiques communautaires à l’échelle du bassin viticole.

Des regroupements voient le jour pour mutualiser les solutions innovations : coopératives, associations d’appellations (comme la Charte des Vignerons Engagés), projets pilotes de « paysages viticoles durables » en Alsace ou en Provence.

Renouer avec la nature, transformer le métier : perspectives ouvertes

Face aux défis environnementaux, la viticulture n’a jamais été aussi inventive. Entre racines et révolutions, le vignoble se transforme, parfois dans la douleur, souvent dans l’expérimentation joyeuse. Car chaque parcelle, chaque millésime embarque une question : que laissera-t-on à la vigne d’après ?

La prise de conscience s’accélère : la réussite ne se mesurera plus seulement à la robe du vin ou à la puissance d’un bouquet, mais à la capacité de la vigne à s’inscrire dans un monde vivant, résilient et partagé. Un défi à la mesure de la passion qu’inspire encore le vin, aujourd’hui et demain.

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