Derrière l’étiquette : la lutte chinoise contre la contrefaçon des vins français

2 juillet 2025

Un phénomène d’ampleur : la contrefaçon de vins français en Chine

L’histoire d’amour entre la Chine et les grands vins français n’est plus à écrire. Depuis les années 2000, le marché chinois s’est imposé comme un eldorado pour Bordeaux, Bourgogne et Champagne. Mais, à l’ombre des étiquettes prestigieuses, un business parallèle s’est développé, celui de la contrefaçon. Selon l’Institut National de l’Origine et de la Qualité (INAO), près d’une bouteille de “Lafite” sur deux consommée en Chine serait contrefaite (source : Vitisphere, décembre 2019).

Dans certains bars de Shanghai, les “Château Lafite” en vente à prix cassés sont suspects. Parfois, l’illusion est subtile : étiquettes imitées à la perfection, cuvée jamais produite… Ou l’art du “copywine”, qui détourne à la fois l’étiquette et l’histoire. Pour la France, ce n’est pas qu’une affaire de prestige, mais aussi un enjeu économique colossal : fin 2022, les exportations de vin vers la Chine représentaient encore 614 millions d’euros d’après la FEVS (Fédération des Exportateurs de Vins & Spiritueux de France), bien que le sommet de 1,2 milliard d’euros de 2017 ne soit plus qu’un souvenir à cause de crises successives et de la concurrence montante des vins nationaux.

Le vin “français” est ainsi devenu l'un des produits agricoles les plus copiés sur la place chinoise, devant le Cognac ou le fromage… Mais comment le géant asiatique traite-t-il les faussaires ? Entre offensives légales, contrôles policiers et coopérations internationales, la Chine s’est-elle vraiment donnée les moyens d’endiguer le phénomène ?

Un arsenal juridique renforcé face à la pression internationale

La contrefaçon en Chine est un serpent de mer pour de nombreux secteurs : montres, sacs, mais aussi vins. Pourtant, en une décennie, l’approche légale a évolué.

La loi sur les marques et la propriété intellectuelle : vigilance accrue depuis 2013

  • En 2013, la Chine modifie sa loi sur les marques pour renforcer la lutte contre les enregistrements frauduleux. Dorénavant, déposer “Château Lafite” ou “Mouton Rothschild” de façon abusive expose à des poursuites ; les titulaires historiques profitent d’une meilleure protection de leur antériorité.
  • En 2020, une “amendement” à la loi sur la propriété intellectuelle vient accentuer la répression : les dommages-intérêts pour les détenteurs de marques peuvent atteindre cinq fois le montant des pertes estimées (source : China Law Translate). Premières victoires, donc, pour les domaines les plus prestigieux, confrontés à des dépôts frauduleux par des sociétés locales peu scrupuleuses.

L’IGP et l’AOC : reconnaissance progressive, mais vigilance de mise

  • En 2012, la Chine signe un accord bilatéral avec l’Union Européenne pour la reconnaissance des Indications Géographiques (IG), incluant près de 10 vins français protégés. Cet accord a été renforcé en 2021 avec une liste élargie, comprenant 100 IG européennes (source : Commission Européenne).
  • Concrètement, vendre un “Champagne” chinois expose désormais à des sanctions pénales et à la saisie des stocks lors de contrôles. Même si, dans la pratique, le respect varie selon la région et le degré de connivence locale.

Sanctions légales : des peines de prison et de lourds dédommagements

  • Sur le papier, la production et la distribution de faux vins peuvent entraîner jusqu’à 7 ans de prison selon l’article 140 du Code pénal chinois, combiné à des amendes élevées et à la destruction du stock identifié (source : Lexology, 2022).
  • Pour les importateurs ou distributeurs véreux, les peines varient selon l’échelle de la fraude, mais les affaires significatives sont médiatisées pour dissuader.

Affaires emblématiques : raids, saisies et jugements

Certains dossiers font date, révélant le degré d’engagement – ou d’exemplarité – des autorités chinoises.

  • 2017 - L’affaire du faux Château Lafite à Zhengzhou. Après plusieurs mois d’enquête menée par la police économique, plus de 50 000 bouteilles présentées comme “Lafite” ou “Pétrus” sont saisies dans un entrepôt de la province du Henan. Le réseau importait des vins de faible qualité, les ré-étiquetait, et écoulait la marchandise dans les clubs et hôtels de luxe. Peines prononcées : de 2 à 5 ans de prison, lourdes amendes et fermeture du réseau.
  • 2019 - Le coup de filet sur une imitation de Cognac et Bordeaux à Shenzhen. Un million de litres d’alcool saisis, dont une partie présentée comme “vin français”, grâce à la collaboration entre les Douanes, l’Administration de la régulation du marché et des enquêteurs étrangers. Ce raid a renforcé l’image d’une prise de conscience nationale.
  • 2022 - Le tribunal de Pudong condamne une entreprise à 7,5 millions de RMB d’indemnités (environ 1 million d’euros) à l’encontre de la société holding détenant la marque Chablis, pour usage abusif et tromperie commerciale. L’affaire est classée référence par la presse chinoise (source : China IP Law Update).

Ces actions, pour médiatiques qu’elles soient, témoignent d’une évolution, mais aussi d’une lutte inégale. Les moyens mis en œuvre pour contrôler 1 million de points de vente restent naturellement limités.

Sur le terrain : contrôles, éducation et coopération internationale

La pénalisation des contrefacteurs ne se joue pas uniquement dans les salles d’audience. C’est aussi un travail patient dans les entrepôts, sur les marchés de gros et au sein de bureaux d’import-export – parfois à la frontière du roman policier.

L’intensification des contrôles

  • D’après la Douane chinoise, plus de 16 000 inspections ciblées sur les vins étrangers ont eu lieu entre 2018 et 2023. Une équipe spéciale veille sur les principaux ports d’entrée : Shanghai, Guangzhou, Tianjin…
  • La technologie s’invite : blockchain, QR codes sécurisés et applications mobiles permettent aux consommateurs de vérifier en temps réel l’authenticité d’une bouteille (source : Wine Intelligence, rapport 2022).
  • Des formations sont organisées pour les revendeurs et sommeliers : plus de 14 000 professionnels sensibilisés entre 2020 et 2023.

La place du consommateur

Les autorités encouragent la dénonciation. En 2020, la hotline “12315” a enregistré plus de 1 900 signalements de vins suspects. Des primes incitatives peuvent être versées (source : The Drinks Business).

La coopération France-Chine : vignerons, ambassadeurs, et plateformes

  • Organisation de séminaires en douanes, avec la participation de la FEVS, de l’INAO et de la DGCCRF française : transmission de techniques de traçabilité et reconnaissance des vraies étiquettes.
  • Échanges de données sur les sociétés suspectes, surveillance des grands événements (Foire de Chengdu, Wine & Spirits Shanghai Fair).
  • Les grands groupes (LVMH, Pernod Ricard, Castel) investissent dans des détectives privés ou des cabinets spécialisés pour surveiller le marché et identifier rapidement les copies.

Limites et adaptabilité des fraudeurs

Le jeu de cache-cache continue. Les faussaires, loin d’être naïfs, s’adaptent aux nouvelles contraintes :

  • Stockage dans des provinces reculées, loin du contrôle des grandes villes.
  • Multiplication de la vente en ligne sur des plateformes secondaires. Entre 2017 et 2022, 40 % des signalements concernaient des ventes sur Internet, selon l’agence chinoise de contrôle du marché.
  • Utilisation de “wine blenders” locaux qui “améliorent” à la marge la saveur du vin importé bon marché pour donner l’illusion du terroir.

Quelques marques françaises s’inspirent des techniques de traçabilité des grands crus de Bourgogne (puces RFID, étiquettes UV, signatures aromatiques vérifiables) pour prendre une longueur d’avance.

La contrefaçon, un révélateur culturel et économique

Comprendre la manière dont la Chine pénalise les contrefacteurs, c’est entrer dans la complexité d’un marché en mutation. Il y a deux décennies, la culture du cadeau d’affaire (“guanxi”) et une fascination pour les marques occidentales alimentaient ce marché parallèle. Aujourd’hui, la nouvelle génération de consommateurs chinois, plus éduquée et connectée, pousse le secteur vers l’authenticité.

  • 58 % des consommateurs se disent désormais capables d’identifier une “fausse étiquette”, contre 23 % en 2016 (source : CADA, 2023).
  • Les préférences évoluent vers les domaines familiaux, les histoires vraies et la transparence d’origine.

L’enjeu pour la France ? Défendre bien plus qu’une économie : la singularité de ses terroirs, la fierté de ses vignerons, et la confiance liée à son histoire. Pour la Chine, la lutte contre la contrefaçon devient aujourd’hui un gage de crédibilité à l’international, une vitrine de sa maturité économique et culturelle, et un enjeu de souveraineté alimentaire alors que sa propre production monte en gamme.

Rien n’est figé : si la législation se durcit, si les coups de filet sont médiatisés, c’est aussi tout un rapport au vin – à la vérité des origines – qui se construit. La lutte est loin d’être terminée, mais chaque authentique bouteille préservée est une victoire partagée, au-delà des frontières.

En savoir plus à ce sujet :