Espagne : transformation et diversité de la viticulture, du tempranillo au xarel-lo

30 avril 2025

Une diversité viticole unique au monde

Avec plus de 960 000 hectares de vignes en 2023 (selon l’OIV, Organisation Internationale de la Vigne et du Vin), l’Espagne conserve son statut de premier pays au monde en superficie viticole. Mais ne vous laissez pas tromper par la seule grandeur des chiffres : la diversité géographique et climatique du pays en fait un véritable kaléidoscope de terroirs.

Des montagnes de la Galice aux plaines arides de La Mancha, des verts paysages du Pays basque aux sols rouges de Valence, on trouve des microclimats contrastés qui permettent la culture de cépages extrêmement variés. Si le tempranillo reste le roi incontesté, d’autres cépages autrichiens comme le garnacha, le monastrell ou encore le verdejo brillent par leurs spécificités. Par ailleurs, ces dernières décennies ont vu une montée en puissance de cépages locaux autrefois oubliés comme le bobal ou le godello, qui séduisent autant les amateurs que les connaisseurs.

Le poids de la tradition et des appellations : force ou frein ?

En Espagne, la viticulture est historiquement ancrée dans un système d’appellations appelé Denominación de Origen (DO). Ces labels garantissent l’origine géographique et la méthode de production, à l’image de nos AOP françaises. Rioja, Ribera del Duero, Priorat... Ces noms résonnent comme des promesses de qualité pour les amateurs de vin du monde entier.

Pourtant, certains vignerons remettent en question ce cadre parfois jugé trop rigide. Ils reprochent une standardisation des styles ou une vision trop conservatrice, qui freinerait l’innovation. Plus d’une centaine de domaines espagnols ont ainsi choisi de quitter leur DO pour se concentrer sur des vins de terroirs, renonçant à l’étiquette officielle pour gagner en liberté. C’est notamment le cas de domaines dans le Priorat ou la Sierra de Gredos, régions où le grenache (garnacha) connaît une véritable renaissance.

Le défi climatique : préserver les vignes dans un monde qui chauffe

L’impact du changement climatique n’épargne pas les vignobles espagnols. Avec des températures estivales dépassant régulièrement les 40 °C dans les plaines de La Mancha ou d’Andalousie, certains vignerons se retrouvent face à un défi de taille : comment maintenir fraîcheur et équilibre dans leurs vins ?

Plusieurs stratégies sont mises en œuvre :

  • Cépages adaptés : certains producteurs réintroduisent des variétés locales résistantes à la chaleur, comme le bobal. Ce cépage, longtemps sous-estimé, s’avère parfaitement adapté aux conditions extrêmes grâce à sa capacité à conserver l’acidité.
  • Changement d’altitude : la recherche de terroirs plus frais conduit également à replanter des vignes à des altitudes plus élevées, souvent au-dessus de 1 000 mètres, comme dans la Ribera Sacra ou les contreforts de la Sierra Nevada.
  • Techniques culturales : ombrer les vignes grâce à des couverts végétaux ou retarder les vendanges afin d’atteindre une meilleure maturation.

Ces adaptations ne donnent pas seulement des réponses à court terme : elles influencent également l’identité gustative des vins espagnols, qui tendent vers des profils plus frais et digestes, en phase avec les attentes des consommateurs internationaux.

Cépages oubliés et vins nature : un retour aux racines

La renaissance des cépages oubliés est l’une des transformations les plus fascinantes de la viticulture espagnole. Longtemps, le marché mondial du vin semblait conditionné par une poignée de cépages "internationaux" : cabernet sauvignon, merlot ou chardonnay. En Espagne, cela avait conduit à un désintérêt pour des variétés locales moins productives ou moins "commerciales".

Mais les choses changent. Une nouvelle génération de vignerons, souvent formée dans de grandes régions viticoles du monde, revient au pays avec une envie forte : valoriser le patrimoine local. Ainsi, des cépages comme le mencía, le albariño ou encore le xarel-lo (souvent limité au cava, mais désormais vinifié en blanc sec) connaissent un regain d’intérêt.

Dans cette même veine, l’essor des vins nature a trouvé en Espagne une terre fertile. Des régions comme le Priorat ou l’Alava enregistrent une multiplication des projets axés sur une vinification sans intrants ni soufre ajouté, souvent autour de petits cépages locaux oubliés. Ces bouteilles, parfois déroutantes par leur caractère brut, séduisent de plus en plus d’amateurs recherchant l’authenticité et l’expression pure du terroir.

Le renouveau du xarel-lo : fer de lance de la Catalogne

Si l’on associe souvent le xarel-lo à l’élaboration du cava, il connaît aujourd’hui une nouvelle jeunesse grâce à des producteurs catalans audacieux. En vinifié sec, ce cépage révèle une autre facette, avec des vins tendus, frais et souvent marqués par des saveurs d’agrumes et de fruits blancs. De nombreux domaines, notamment autour de Penedès, misent désormais sur cette variété comme étendard de leur vignoble.

Certains producteurs n’hésitent pas à expérimenter avec des élevages en amphore ou en barriques, offrant des cuvées complexes et inattendues, parfaites pour rivaliser avec les grands blancs français ou allemands. Un exemple éloquent du potentiel énorme que renferme ce cépage, longtemps cantonné à son rôle traditionnel.

Entre internationalisation et identité locale

L’Espagne, tout en renouvelant ses traditions, s’ouvre également davantage à l’international. Les exportations de vins espagnols ne cessent de croître, atteignant 23,1 millions d’hectolitres en 2022 (source : ICEX). Pourtant, cette internationalisation ne signifie pas uniformisation. Bien au contraire.

Les consommateurs étrangers, en quête d’authenticité, sont friands de cuvées audacieuses et typiques. Cela pousse de nombreux vignerons espagnols à sortir de leur zone de confort, en valorisant les variétés anciennes et les pratiques durables, tout en répondant aux standards qualitatifs internationaux.

Vers un nouvel équilibre

La viticulture espagnole incarne aujourd’hui une magnifique synthèse des forces en présence : pouvoir afficher une solide tradition, tout en s’aventurant hors des sentiers battus. Que l’on goûte un tempranillo fin et structuré, un grenache aérien ou un xarel-lo vibrant de vie, ces vins captivent et racontent un pays en constante évolution.

Alors, lors de votre prochain passage en cave ou chez votre caviste, laissez-vous tenter par un de ces flacons espagnols aux multiples visages. Car derrière chaque cépage, chaque région, chaque bouteille, ce sont des histoires uniques qui vous attendent, prêtes à être dégustées et partagées.

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